Dans l’homme souffrant...

“ Dans l’homme souffrant, une source intérieure ne tarit pas ”1
M. L, dont les jours semblent comptés, repose sur son lit d’hôpital. Aujourd’hui, notre rencontre se nourrit de silence. Un silence habité par la richesse de nos précédents échanges, un silence “mutuellement consenti ”2, plus intense que la parole. Il porte, relie, enveloppe, apaise. L’échange de regards est profond…
Plus tard, je murmure un fragment de psaume que M. L. aime à entendre et qui, pour lui, est ressource “ En Toi, je cherche refuge, un refuge à l’ombre de tes ailes ” (Psaume 56).
La grande maladie bouleverse au plus profond, questionne les certitudes et invite à la quête spirituelle. Surgit le désir de se recueillir, se recentrer sur son monde intérieur, revisiter son chemin personnel.
Une écoute concentrée, où « dansent la parole et le silence », est alors appréciée du malade : l’accompagnant tient lieu de témoin de ce qui est déposé.
Dire ce que l’on a été au plus précieux de soi donne sens à sa vie : tel homme repose son travail de tailleur de pierre, restaurateur de cloîtres ; telle femme refait amoureusement ses gestes d’ancienne lingère ; tel autre, magistrat, nous invite à lui relire le compte rendu des procès qu’il a instruits.
Retrouver ses priorités, ce qui fait pétiller sa vie est chemin spirituel : Mme L. est en soins palliatifs. Elle a toujours donné une large place à la nature. Un soignant nous sollicite régulièrement pour la descendre, dans son lit, dans le jardin de l’établissement. Pour elle écouter le chant des oiseaux, sentir le parfum de l’herbe humide, toucher feuilles et ramures, la relie à son être profond et lui donne, dans la gratitude, de contempler l’éclat de la vie. “Le spirituel est lui-même charnel” disait Péguy.
Ce qui fait pétiller la vie est un chemin “spirituel”.
Se mettre au clair avec les liens qui comptent pacifie : Mme B., qui souffre de souffre de troubles cognitifs, aime regarder avec nous l’album de photos réalisé par son époux pour mettre en lumière, aux yeux de leurs enfants, les liens familiaux et restituer, dans toute sa densité, la femme qu’elle a été.
Ecouter avec Mme T., qui n’a plus l’usage de la vue, une sonate de Mozart devient, dans le souvenir de sa fille aimée, temps de méditation où se logent tendresse et reconnaissance.
“J’ai retrouvé mon homme intérieur”
Précieux travail spirituel où la personne unifie sa vie et est reconnue comme unique. “J’ai le sentiment d’avoir lié la gerbe” dit un malade. “J’ai retrouvé mon homme intérieur” souligne un autre.
A la quête spirituelle peut s’articuler une démarche d’ordre religieux : quand les mots étaient là, Mm A. nous a confié qu’elle se nourrissait de la Parole. A chaque rencontre, nous évoquons Celui qui est Berger, Salut, Rocher, Rempart. Dans la grande fatigue qui s’installe, ces mots deviennent force et lumière, Parole qui ouvre, dans la paix, à ce qui peut advenir…
Mme T. vit dans la rue depuis ses 17 ans. Son entrée à l’hôpital a bousculé douloureusement ses repères Peu à peu, la confiance s’est instaurée. Dans le souvenir de son père qu’elle a peu connu mais qui lui est cher, elle nous demande de lui apprendre une prière qu’elle ferait sienne.
Dans la chambre de Mme M., 100 ans passés, sur la tablette qui surplombe son lit, sont toujours posés un gros réveil sonore et le dernier numéro de Prions en Église. Deux objets signifiant les deux priorités qui l’habitent être consciente du temps qui passe et consentir, dans la confiance, au temps de la Rencontre… Soif d’intériorité, besoin de “venir se blottir au cœur de l’être, au foyer de notre ermitage intérieur, quelque chose de l’ordre de la grâce attend de venir au jour.”3
L’accompagnant spirituel est peut-être celui que le malade invite à se faire compagnon de cet ermitage intérieur.
1. B. Matray, La Présence et le Respect
2. D.Lebreton, article revue Jalmalv (Jusqu’à la mort accompagner la vie), n° 113
3. L. Burdin, Parler de la mort.